Retour du patriotisme

Les sauveteurs

 

 

Faire face au drame

A la recherche de survivants dans les décombres du World Trade Center à New York, les sauveteurs évoluent dans un univers hostile, effrayant, parfois toxique, toujours dangereux.

Ils étaient des centaines mercredi à fouiller, creuser, explorer des millions de mètres-cubes de gravats: tout ce qui reste des tours jumelles qui faisaient 24 heures plus tôt la fierté des new-yorkais, avant d'être percutées par deux avions. Des milliers de personnes ont été précipitées dans la mort quand elles se sont effondrées et, plus de ving-quatre heures après, une poignée seulement ont été exhumées. "C'est extrêmement dangereux. Ce sont des assemblages de structures effondrées très instables. Nous progressons lentement", assure Russ Keat, spécialiste des catastrophes en milieu urbain. "Nous devons explorer les cavités dans lesquelles peuvent se trouver des survivants. On entre à toute vitesse et on reste dedans le moins possible pour minimiser les risques... Enfin... Ce matin j'ai passé deux heures dans une pièce au sous-sol. Il y a des endroits où on n'est pas certain que ce soit sûr d'entrer, mais on a entendu du bruit. Alors on y va. On se dit: +Je prends le risque+".

Les décombres, des matériaux de toutes sortes, sont encore en flammes par endroits. Les sauveteurs savent que des gaz toxiques, notamment pour des cabinets de dentistes, étaient stockés dans les tours. "Tout est chaud, là-dedans. Le béton est chaud, les pièces de métal sont brûlantes. Pas intérêt à enlever les gants", raconte Scott Riccio, un solide ouvrier du bâtiment venu du New Jersey voisin. C'est un "steelworker", cette aristocratie de la classe ouvrière américaine spécialisée dans l'érection des carcasses de métal des gratte-ciels, fiers d'un savoir-faire qu'ils étaient au moins 400 à avoir mis, mercredi, au service des victimes. "Parfois, quand on soulève une tôle, cela ravive un feu qui couvait.

Les flammes repartent, en quelques secondes on ne voit plus rien. On grimpe sur les pièces de métal, mais il faut faire gaffe: elles sont toutes connectées les unes aux autres: tu ne veux pas faire bouger un truc qui va tomber sur vingt gars de l'autre côté !" En début d'après-midi, les trois coups de trompe donnant l'ordre d'évacuation immédiate ont retenti sur le monstrueux chantier, quelques minutes avant qu'une partie encore debout de l'une des tours ne s'effondre à son tour. "Tout le monde a filé: pompiers, médecins, infirmières", se souvient Parrish Keley, un pompier volontaire de 35 ans venu du Massachusetts. "C'était très frustrant, on avait l'impression de perdre tout ce que l'on avait fait depuis ce matin". Frank Gribbon, porte-parole des pompiers de New York, a toutefois assuré que l'interruption n'avait été que temporaire. "Nous avons suspendu en raison des risques, mais cela a repris".

Dans leurs recherches, étant donné le nombre de victimes, les découvertes macabres se multiplient. "J'ai d'abord trouvé un visage de femme... Enfin, la peau d'un visage, avec les cheveux", soupire Parrish Keley. "Il y avait aussi un torse sans jambes, avec un téléphone cellulaire dans la main. C'est comme ça qu'il a été identifié". Dans la matinée, un fol espoir s'est emparé des équipes quand elles ont entendu plusieurs détonations, pensant qu'il pouvait s'agir de policiers utilisant leurs armes pour se signaler. "Dès qu'on entend quelque chose, tout s'arrête pour faire le silence et on envoie une équipe de deux-trois gars", ajoute Parrish Keley. "Mais là, c'était certainement des munitions explosant sous la chaleur. Alors c'est un peu dur pour le moral".

Les équipes se sont aussi figées quelques instants, mercredi, mais pour une autre raison. Avisant, entre les ruines, un drapeau américain un "steelworker" a attrapé une échelle, l'a posée contre l'immense antenne qui surmontait depuis 1972 l'une des deux tours et gît aujourd'hui par terre, mais toujours dressée, et l'a accroché au sommet. Scott Riccio sourit: "On a tous crié. C'est ça l'Amérique !"


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