Le 31 janvier
dernier, c'est à Epinal dans son bureau du conseil général
des Vosges que Monsieur Christian Poncelet, président du Sénat
depuis octobre 1999 a accepté de répondre à nos
questions.
Notre démarche peut paraître de prime abord étonnante.
Pourquoi, nous direz-vous, dans ce journal étudiant qui se veut
apolitique ou tout du moins dénué d'appartenance partisane
quelle qu'elle soit, interviewer un homme d'appareil ?
Constatant que la plupart des gens ignorent le nom du président
du Sénat et considèrent cette institution comme désuète
et inflexible, nous souhaitions, à travers cette rencontre, faire
découvrir un homme méconnu du grand public, et pouvoir
confronter nos différents points de vue sur des thèmes
d'actualité. Partant de l'idéalisme et de rêves de jeunesses,
nous en sommes venus à traiter de sujets phares, qui ont fait
les grands titres dans la presse.
L'homme qui a succédé à la surprise du grand public
à l'ancien Président du Sénat René Monory
a connu un parcours plutôt atypique : il a commencé par
participer au monde syndical avant de s'impliquer en politique, comme
il le dit lui-même "par goût de l'action et de l'efficacité".
Au lieu de nous retrouver, comme nous l'imaginions, face à un
homme distant et froid (du fait de sa haute fonction en tant que second
personnage de l'Etat), c'est un homme chaleureux, ouvert à la
discussion qui nous a reçues en toute simplicité dans son bureau.
Lui demandant de nous faire part de sa conception de l'idéalisme,
il nous en donne sa propre définition : "l'idéalisme est
une nourriture essentielle pour les jeunes , il faut à votre
âge avoir un idéal et le défendre". Toutefois cet
idéal "ne doit pas nous conduire à ignorer la société
dans laquelle on vit. L'idéal est corrigé par l'expérience
qui nous conduit à être confronté aux réalités".
Si on considère que la politique répond à un certain
idéal de vie en société, peut-on vraiment soutenir
que les tâtonnements qu'elle connaît aboutiront un jour à
un paradigme communément admis ? Est-ce qu'un jour idéal
et réalité seront conciliables ? L'idéalisme n'est-il
qu'un vain mot ?
Est-ce que sa conception de l'idéalisme s'est transformée
par rapport à ses projets initiaux ?
Comment imaginait-il son avenir
à 20 ans et quels étaient ses idéaux ?
En 1948, Monsieur Poncelet avait 20 ans. C'est le ballon au pied qu'il
se projetait dans l'avenir… Mauvais ou heureux dénouement, il
entre à l'Ecole des Télécommunications et devient
contrôleur.
Puis, ce membre du RPR a été député et a
participé aux Gouvernements de Pierre Messmer et de Jacques Chirac
Elu sénateur en 1977, il a gardé ce siège jusqu'à
son accession à la présidence du Sénat. Il se qualifie
lui-même de "gaulliste de gauche" [un néologisme qui aurait le
mérite de rassembler les électeurs de tous bords !!].
Etant donné que Monsieur Poncelet est Président du Sénat,
Président du Conseil général des Vosges, et était
encore jusqu'à récemment maire de Remiremont, le problème
du cumul des mandats par les élus a occupé une place centrale
au cours de notre entretien. En effet, nous ne voulions pas occulter
un sujet qui a montré que les leaders de certains partis utilisaient
leur position et leur image pour détenir le maximum de mandats
au détriment d'une réelle efficacité et d'un contact
auprès des électeurs. Ce projet a d'ailleurs suscité
de nombreuses réactions au sein de la classe politique mais aussi
du grand public lors de son adoption. Cette loi est essentielle car
elle permet aux élus de se concentrer sur leurs mandats et offre
aussi la possibilité d'élargir l'exercice du modèle
représentatif par un plus grand nombre d'élus. Le président
du Sénat, quant à lui, s'est déclaré favorable
à cette loi, même s'il trouve excessive la démarche prévoyant
un homme pour un mandat. Cette limitation doit plutôt concerner
"un mandat national et un mandat d'exécutif local". La détention
de deux mandats, un local et un national nous semble également
la bonne alternative. Il a ainsi démissionné de son mandat
de maire de Remiremont (Vosges), et n'a gardé que ses mandats
de sénateur et de président de Conseil général.
En effet, comment bien légiférer si l'on n'a pas de mandat
local et si l'on ne connaît pas les attentes et les espoirs de ses concitoyens
? L'élu national, qui est censé être proche des électeurs
qu'il représente, doit pouvoir répondre à leurs
préoccupations en vivant à leurs côtés… Aussi,
proche du centre décisionnel, il participe à l'amélioration
des conditions de vie de ses concitoyens tout en gardant un lien étroit
avec ses électeurs. Monsieur Poncelet estime qu'un homme politique
se doit d'être "un citoyen parmi les citoyens en prenant ses responsabilités
au milieu d'eux".
Au sujet de l'Europe, il se déclare
partisan d'une "Europe confédérale laissant aux Etats
certains pouvoirs même si certains domaines sont gérés
en commun. Il faut appliquer le principe de la subsidiarité en
respectant les cultures, identités des différents pays."
Concernant la citoyenneté européenne, il faut, selon lui,
connaître l'épreuve pour se défendre ensemble avec une
même fraternité, se mobiliser pour défendre en commun
des idéaux de libertés. "Avec l'arrivée au pouvoir
en Autriche de l'extrême droite avec Jörg Haider, les démocraties
européennes doivent s'unir pour freiner cette montée.
L'Europe ne doit pas rester indifférente même si Haider est arrivé
au pouvoir par le processus démocratique, car Hitler est arrivé
au pouvoir par les mêmes moyens."
A propos de la loi sur la parité hommes/femmes en politique,
le président du Sénat se déclare favorable à
celle-ci tout en indiquant qu'on a intenté un faux procès
à la chambre haute considérée comme passéiste
face au problème : "Le Sénat est juste hostile aux quotas.
Il est en effet très difficile de trouver, en politique, 50 %
de femmes". Plutôt que de souligner la difficulté à
trouver ce quota de femmes, il faudrait se demander pourquoi le monde
politique est resté si longtemps hermétique aux femmes
et si une telle résolution (la loi sur la parité) peut
vraiment étendre l'influence des femmes au niveau de la sphère
décisionnelle… En effet, en France, plus que partout ailleurs
en Europe, le machisme politique semble empêcher la réalisation
d'une réelle mixité. Alors que les femmes représentent
53 % du corps électoral, pourquoi ne sont-elles pas plus présentes
sur la scène politique ? Se veulent-elles réfractaires
ou sont-elles découragées par les affrontements féroces,
la perte de temps en vaines paroles et les discours vaniteux ?
Comme l'a déclaré Elisabeth Guigou, dans son livre Etre
femme en politique : "Les femmes peuvent-elles changer la politique
ou bien la politique changera-t-elle les femmes ?" Elle s'interroge
sur le réel impact qu'auraient les femmes si elles étaient
plus nombreuses sur le devant de la scène. Influenceraient-elles
davantage les politiques publiques en les rendant plus sensibles à
la misère quotidienne ? Ou alors seraient-elles contraintes à
adopter des comportements masculins pour faire entendre leur voix ?
Néanmoins, pour certaines femmes qui revendiquent plus de droits
aux femmes, cette loi prend l'allure d'un assistanat. L'avenir nous
dira si cette mesure était une bonne décision. Peut-être
même en rira-t-on dans quelques années ?
En outre, pour Christian Poncelet, " il faut une culture, une éducation
civique qui fait défaut chez beaucoup de jeunes. " Il en vient
ainsi à expliquer le désengagement des jeunes du monde
politique (au profit du monde associatif) en rappelant en même temps
que les affaires font du tort à la crédibilité
du monde politique à droite comme à gauche…
Très intéressé par le monde étudiant, par
les " jeunes qui portent l'avenir", Christian Poncelet estime qu'il
n'existe pas de bonne formation sans un minimum d'autorité, de
rigueur : "les jeunes doivent prendre leurs responsabilités et
ne pas hésiter, au nom de l'intérêt général,
à affronter l'impopularité"[on pourrait alors rétorquer
: comment réussir en politique sans être populaire !]. Pour Monsieur
Poncelet, "il faut savoir s'opposer, suivre des formations qui nous
amènent à être des adultes responsables. Le monde étudiant
a des droits mais aussi des devoirs"…