Aurore Bérard et Charlotte Goyon, mars 2000

Rencontre avec M. Christian Poncelet, récemment devenu le second personnage de l'Etat après des années dans l'ombre du pouvoir...


Le 31 janvier dernier, c'est à Epinal dans son bureau du conseil général des Vosges que Monsieur Christian Poncelet, président du Sénat depuis octobre 1999 a accepté de répondre à nos questions.
Notre démarche peut paraître de prime abord étonnante. Pourquoi, nous direz-vous, dans ce journal étudiant qui se veut apolitique ou tout du moins dénué d'appartenance partisane quelle qu'elle soit, interviewer un homme d'appareil ?
Constatant que la plupart des gens ignorent le nom du président du Sénat et considèrent cette institution comme désuète et inflexible, nous souhaitions, à travers cette rencontre, faire découvrir un homme méconnu du grand public, et pouvoir confronter nos différents points de vue sur des thèmes d'actualité. Partant de l'idéalisme et de rêves de jeunesses, nous en sommes venus à traiter de sujets phares, qui ont fait les grands titres dans la presse.
L'homme qui a succédé à la surprise du grand public à l'ancien Président du Sénat René Monory a connu un parcours plutôt atypique : il a commencé par participer au monde syndical avant de s'impliquer en politique, comme il le dit lui-même "par goût de l'action et de l'efficacité".
Au lieu de nous retrouver, comme nous l'imaginions, face à un homme distant et froid (du fait de sa haute fonction en tant que second personnage de l'Etat), c'est un homme chaleureux, ouvert à la discussion qui nous a reçues en toute simplicité dans son bureau.

Lui demandant de nous faire part de sa conception de l'idéalisme, il nous en donne sa propre définition : "l'idéalisme est une nourriture essentielle pour les jeunes , il faut à votre âge avoir un idéal et le défendre". Toutefois cet idéal "ne doit pas nous conduire à ignorer la société dans laquelle on vit. L'idéal est corrigé par l'expérience qui nous conduit à être confronté aux réalités". Si on considère que la politique répond à un certain idéal de vie en société, peut-on vraiment soutenir que les tâtonnements qu'elle connaît aboutiront un jour à un paradigme communément admis ? Est-ce qu'un jour idéal et réalité seront conciliables ? L'idéalisme n'est-il qu'un vain mot ?

Est-ce que sa conception de l'idéalisme s'est transformée par rapport à ses projets initiaux ?

Comment imaginait-il son avenir à 20 ans et quels étaient ses idéaux ?

En 1948, Monsieur Poncelet avait 20 ans. C'est le ballon au pied qu'il se projetait dans l'avenir… Mauvais ou heureux dénouement, il entre à l'Ecole des Télécommunications et devient contrôleur.
Puis, ce membre du RPR a été député et a participé aux Gouvernements de Pierre Messmer et de Jacques Chirac Elu sénateur en 1977, il a gardé ce siège jusqu'à son accession à la présidence du Sénat. Il se qualifie lui-même de "gaulliste de gauche" [un néologisme qui aurait le mérite de rassembler les électeurs de tous bords !!].

Etant donné que Monsieur Poncelet est Président du Sénat, Président du Conseil général des Vosges, et était encore jusqu'à récemment maire de Remiremont, le problème du cumul des mandats par les élus a occupé une place centrale au cours de notre entretien. En effet, nous ne voulions pas occulter un sujet qui a montré que les leaders de certains partis utilisaient leur position et leur image pour détenir le maximum de mandats au détriment d'une réelle efficacité et d'un contact auprès des électeurs. Ce projet a d'ailleurs suscité de nombreuses réactions au sein de la classe politique mais aussi du grand public lors de son adoption. Cette loi est essentielle car elle permet aux élus de se concentrer sur leurs mandats et offre aussi la possibilité d'élargir l'exercice du modèle représentatif par un plus grand nombre d'élus. Le président du Sénat, quant à lui, s'est déclaré favorable à cette loi, même s'il trouve excessive la démarche prévoyant un homme pour un mandat. Cette limitation doit plutôt concerner "un mandat national et un mandat d'exécutif local". La détention de deux mandats, un local et un national nous semble également la bonne alternative. Il a ainsi démissionné de son mandat de maire de Remiremont (Vosges), et n'a gardé que ses mandats de sénateur et de président de Conseil général. En effet, comment bien légiférer si l'on n'a pas de mandat local et si l'on ne connaît pas les attentes et les espoirs de ses concitoyens ? L'élu national, qui est censé être proche des électeurs qu'il représente, doit pouvoir répondre à leurs préoccupations en vivant à leurs côtés… Aussi, proche du centre décisionnel, il participe à l'amélioration des conditions de vie de ses concitoyens tout en gardant un lien étroit avec ses électeurs. Monsieur Poncelet estime qu'un homme politique se doit d'être "un citoyen parmi les citoyens en prenant ses responsabilités au milieu d'eux".

     Au sujet de l'Europe, il se déclare partisan d'une "Europe confédérale laissant aux Etats certains pouvoirs même si certains domaines sont gérés en commun. Il faut appliquer le principe de la subsidiarité en respectant les cultures, identités des différents pays." Concernant la citoyenneté européenne, il faut, selon lui, connaître l'épreuve pour se défendre ensemble avec une même fraternité, se mobiliser pour défendre en commun des idéaux de libertés. "Avec l'arrivée au pouvoir en Autriche de l'extrême droite avec Jörg Haider, les démocraties européennes doivent s'unir pour freiner cette montée. L'Europe ne doit pas rester indifférente même si Haider est arrivé au pouvoir par le processus démocratique, car Hitler est arrivé au pouvoir par les mêmes moyens."

A propos de la loi sur la parité hommes/femmes en politique, le président du Sénat se déclare favorable à celle-ci tout en indiquant qu'on a intenté un faux procès à la chambre haute considérée comme passéiste face au problème : "Le Sénat est juste hostile aux quotas. Il est en effet très difficile de trouver, en politique, 50 % de femmes". Plutôt que de souligner la difficulté à trouver ce quota de femmes, il faudrait se demander pourquoi le monde politique est resté si longtemps hermétique aux femmes et si une telle résolution (la loi sur la parité) peut vraiment étendre l'influence des femmes au niveau de la sphère décisionnelle… En effet, en France, plus que partout ailleurs en Europe, le machisme politique semble empêcher la réalisation d'une réelle mixité. Alors que les femmes représentent 53 % du corps électoral, pourquoi ne sont-elles pas plus présentes sur la scène politique ? Se veulent-elles réfractaires ou sont-elles découragées par les affrontements féroces, la perte de temps en vaines paroles et les discours vaniteux ?
Comme l'a déclaré Elisabeth Guigou, dans son livre Etre femme en politique : "Les femmes peuvent-elles changer la politique ou bien la politique changera-t-elle les femmes ?" Elle s'interroge sur le réel impact qu'auraient les femmes si elles étaient plus nombreuses sur le devant de la scène. Influenceraient-elles davantage les politiques publiques en les rendant plus sensibles à la misère quotidienne ? Ou alors seraient-elles contraintes à adopter des comportements masculins pour faire entendre leur voix ?
Néanmoins, pour certaines femmes qui revendiquent plus de droits aux femmes, cette loi prend l'allure d'un assistanat. L'avenir nous dira si cette mesure était une bonne décision. Peut-être même en rira-t-on dans quelques années ?

En outre, pour Christian Poncelet, " il faut une culture, une éducation civique qui fait défaut chez beaucoup de jeunes. " Il en vient ainsi à expliquer le désengagement des jeunes du monde politique (au profit du monde associatif) en rappelant en même temps que les affaires font du tort à la crédibilité du monde politique à droite comme à gauche…

Très intéressé par le monde étudiant, par les " jeunes qui portent l'avenir", Christian Poncelet estime qu'il n'existe pas de bonne formation sans un minimum d'autorité, de rigueur : "les jeunes doivent prendre leurs responsabilités et ne pas hésiter, au nom de l'intérêt général, à affronter l'impopularité"[on pourrait alors rétorquer : comment réussir en politique sans être populaire !]. Pour Monsieur Poncelet, "il faut savoir s'opposer, suivre des formations qui nous amènent à être des adultes responsables. Le monde étudiant a des droits mais aussi des devoirs"…

Aurore Bérard, Charlotte Goyon


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