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Dana Popescu, Décembre 1999
Dana Popescu, journaliste de guerre en Yougoslavie à l'époque la plus sombre du conflit, nous raconte la guerre
Entre faire la
guerre et subir la guerre. Entre responsabilité et victime.
Entre peur et besoin.
Le besoin de normalité est ainsi fait que tout le monde vit en harmonie. Ou
du moins, essaye.
Sarajevo, septembre 1994.
Devant le pont, " fraternité et Unité " qui séparent les deux populations
: serbe et bosniaques. Des chars blindés, des soldats, des snipers, quelques
civils. Animation hasardeuse. Puis le doute. L'ignorance.
Pour le moment, c'est calme. On passe la rue, rapidement. " Les rats font
pareil ". J'y pense.
Un autre groupe vient de nous rejoindre. Les civils qui parlent fort, pour couvrir
la crainte.
Ils partent.
Quelques rafale, qu'on localise dans un bâtiment à gauche. Normalement, les
journalistes sont obligés d'utiliser tous les moyens de protection prévus par
les normes internationales. Mais quand tout le monde pense déjà que la guerre
est entrée dans la vie quotidienne, nous apprenons à faire de même.
Par une fenêtre, je vois une femme dans une cuisine. Elle fait à manger. Montant
du brouhaha, je sens l'odeur d'un plat traditionnel local.
Les balles, les canons, les militaires et l'odeur de " zakuska ".
Belgrade, mars 1992.
Dans l'ascenseur de mon hôtel, une vieille femme pleure dans un mouchoir sale.
Elle me parle de sa famille qui est restée dans le territoire serbe de Croatie
et de son fils sur le front. Elle est seule ici, sans argent et sans abri. Elle
souffre et je ne peux sortir mon magnétophone pour l'interviewer. Je ne peux
utiliser la souffrance pour faire mon reportage. Je suis contrariée.
Zagreb, trois mois après.
Dans l'ascenseur de mon hôtel. Une vieille dame me parle de sa famille restée
dans un territoire maintenant contrôlé par les serbes. Elle reçoit l'aide de
la croix-rouge.
Elle pleure, en expliquant qu'elle a tout perdu : la maison, les animaux, les
outils. Moi, je ne vois pas la différence.
Bosnie, pendant la guerre. Un village.
J'arrive cinq minutes après le bombardement. Cette fois, c'est une jeune femme
qui pleure devant une maison complètement détruite. Elle est vraiment désespérée.
Les voisins m'expliquent pourquoi. Quand elle a attendu les bombes, elle est
sorti vite et elle a simplement oublié son bébé dedans. La peur. " Comment
j'ai fait ça ? Qu'est-ce que je peux faire maintenant ? Comment pourrais-je
vivre avec ça ? ". Crie-t-elle.
" C'est pas de ta faute, disent les voisins, ça peut arriver à n'importe
qui ".
De toute façon, on sait que pour un journaliste de guerre, l'une des plus graves
erreurs, c'est d'appuyer sur la souffrance individuelle. Celle qui ne change
pas le cours des évènements.
Comme nous ne la subissons pas, nous l'observons..
Dana Popescu
Journaliste de guerre en Yougoslavie