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Frédéric Ramel, Décembre 2000
L'Afrique et l'européen : entre décentrement et engagement
Partir en Afrique noire, c'est comme se jeter à l'eau pour la première fois.
Attiré par les vagues, on ressent pourtant un trac, une certaine appréhension. Le choc qui en résulte est à la hauteur des aspirations que l'on place dans un tel voyage où rien n'est forcément prévu et toute rencontre anodine peut se transformer en échange fécond. Outre la moiteur et le poids du soleil, le premier sentiment qu'on éprouve dans les rues de Ouagadougou, est cependant l'agacement. Rien de plus horripilant que d'être accosté en permanence par une multitude de commerçants ambulants qui ne voient dans les blancs que des touristes aux poches remplies d'écus. Heureusement, ce premier sentiment se disperse pour laisser place à une prise de conscience radicale : la pluralité des existences humaines entre ici et là-bas mais aussi au cœur de l'Afrique. Des différences accusées surgissent entre les vies urbaine et rurale, entre la pétulante Ouaga et l'ambiance des village les plus reculés. Ce fossé que certains s'obligent à combler n'est pas seulement matériel ou physique. Il traverse aussi les esprits : espérance et désillusion des ruraux, sentiments de supériorité se transformant parfois en arrogance chez les urbains. Ce qui choque également, c'est la pertinence des images d'Epinal présentant la pauvreté des populations. Dénudés, subissant la malnutrition, les enfants et les adultes de certaines régions comme le Sahel n'ont que leur sourire à offrir. Quel présent de joie, mais quel malaise également !
En parlant avec des Burkinabés sans complexes - exceptés les vendeurs de rue au rapport le plus souvent intéressé - les impressions qui jaillissent sont celles de la spontanéité et de la lucidité. Spontanéité de l'accueil, du lien amical, de l'hospitalité ; lucidité quant aux réels enjeux de la situation politique, économique et sociale, plus que précaire.
Face à l'Afrique, il est difficile d'accepter la situation de spectateur, qui a bien des égards, se confond avec celle du consommateur. Le cours des choses incite à l'action, à l'engagement, à l'investissement. Dans les rues de Ouaga, dans les provinces Burkinabés, peu de visages pâles se satisfont de la voie de safari photos ou de la visite des parcs animaliers. Les Caïmans et les Hippopotames, c'est bien ; mais que dire des êtres humains qui se trouvent autour d'eux !
Nulle part ailleurs, le sentiment d'aider et d'exister en tant qu'individu utile n'est aussi grand. Nul part ailleurs, la conscience d'être à la fois soi-même par rapport à l'autre et notamment les enfants africains n'est aussi fort. Bref, nul part ailleurs, l'expérience de décentrement n'est aussi vive. A l'heure d'une globalisation des échanges et des technologies de communication, une éthique de la discussion semble de plus en plus nécessaire entre les individus. Elle repose en majeure partie sur un processus de reconnaissance de l'autre, avec ses caractères, ses envies et ses traditions. Ce qui ne signifie pas un relativisme absolu. Au contraire, il s'agit d'une nouvelle façon d'appréhender nos spécificités, nos identités tout en soulignant les points communs et les aspirations communes qui, sur le plan éducatif notamment, ne peuvent que converger. Ce décentrement vécu, faisant fi des intermédiaires parfois partiaux que sont les médias ou plus souvent encore les structures politiques, est le fondement même d'une nouvelle conscience de l'Humanité. Elle ne se sédimente pas à travers la création d'un grand village mondial. Ne nous voilons pas la face. Cette réalité n'est pas à l'ordre du jour et ne le sera peut-être jamais. Par contre, cette nouvelle humanité se traduit par un simple sentiment de proximité et de pluralité humaine.
C'est immense et c'est peu de chose.
Ne serait-ce pas là l'idéal des liens globaux entre individus, au-delà des liens inter-étatiques ?
Frédéric ramel