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David Kersan, décembre 2000
L'Homme aux semelles de sable est mort.
Portrait de celui qui fut la lettre de L'idéalisme français de la seconde moitié du XXème siècle.
Quelques hommes ont le rare privilège d'être tenus, par leur contemporains, comme des consciences de leur époque.
Il fut de ceux-là.
Le désert vient de perdre son plus grand spécialiste, et la planète le dernier survivant d'une espèce disparue : celle des naturalistes.
Théodore Monod, voyageur infatigable et humaniste convaincu, s'est éteint mercredi 22 novembre dans une maison de santé de Versailles, à l'âge de 98 ans.
La France, elle aussi, est orpheline de l'un de ses derniers chercheurs d'absolu, capable de nous proposer une étoile édenique, un nouvel horizon où l'espoir est permis. La France perd une de ses plus grandes fiertés.
Professeur honoraire au Muséum d'histoire naturelle depuis 1974 et membre de l'Académie des sciences depuis 1963, Théodore Monod avait débuté par la science des poissons, l'ichtyologie, avant d'être appelé par le désert lors d'une étude océanographique au large de la Mauritanie. Surnommé le ''majnoun'' (fou du désert) par les Maures, cet infatigable arpenteur des dunes, cet amoureux du désert, avait notamment traversé le Sahara dans tous les sens, à pied, ou à dos de chameau au fil de longues méharées.
Mû par une insatiable curiosité, cet explorateur a recensé un important catalogue de connaissances allant des minéraux fossiles aux plantes rarissimes en plus de 70 ans d'expéditions dans les déserts africains. Mais ce chercheur d'absolu était surtout entré dans le désert comme on entre en religion, en amoureux du silence et du dépouillement. Toute sa vie fut d'ailleurs consacrée à l'étude de ce sol qu'il estime comme la source première à la recherche de matériaux fondamentaux pour la quête de vérités préhistoriques, la génèse de notre planète, et qu'il décrivit si simplement comme "la nature vierge... celle qui ne ment pas".
Profondément croyant, il aura combattu pour les plus belles causes, luttant contre l'exclusion, le nucléaire, et pour la défense des mal logés.
Ce savant idéaliste croyait de son devoir de mettre les hommes en garde contre leurs égarements et les dangers qui menacent la planète, et permettre qu'émerge un "nouvel homme". Celui-ci sera à part entière "fils du ciel et de la terre", grâce à l'élan de la spiritualité.
Théodore Monod voulait préparer une forme d'homo sapiens du troisième millénaire libéré de ses inutiles scories autant que la violence et l'instinct abusif de possessions propres à notre fin de siècle.
Ascétique, ce végétarien avait également parcouru 1.000km dans le Sahara sans un point d'eau pour ''prouver qu'on pouvait faire un effort condidérable sans manger de viande''.
''Je hais le monde et cette prétendue civilisation qui par son luxe et ce qu'elle appelle le progrès veut étouffer la santé morale, l'amour de la simplicité, la vie saine'', écrivait-il à l'âge de 26 ans, après ses premières expéditions.
Symbole de sa quête d'infini, une fleur baptisée Monodiella flexuosa aperçue en 1940 dans le Sud algérien et une météorite gigantesque et mystérieuse dont il avait entendu parler dans les années 1930, ont constitué ses Graals.
Fils d'un pasteur protestant, Théodore Monod manifestait son humanisme entre deux missions en défendant la nature, la paix et les droits de l'homme et des animaux. Depuis 1983, il participait à un ''jeûne d'interpellation'' de quatre jours à Taverny, le siège du commandement des forces stratégiques françaises, pour l'anniversaire du largage de la bombe atomique sur Hiroshima, qui a marqué, selon lui, le 6 août 1945 la fin de l'ère chrétienne. ''Quatre jours, ça ne sert pas à grand chose, avait-il expliqué sur LCI. Vingt pacifistes, et non-violents par dessus le marché, ça ne fait peur à personne. C'est essayer quand même d'éveiller les consciences et les esprits''.
Engagé auprès de nombreuses causes, il était présent sur la liste des Verts pour les dernières élections européennes et soutenait aussi le mouvement Droit au logement (DAL) depuis 1992. ''Il avait trois dimensions : théologique et spirituelle, car il était curieux de ce qui se passait 'au-delà du voile', comme il disait'', a résumé Ambroise Monod, l'un des trois enfants du savant. ''Sociale, puisqu'il était très engagé, notamment contre la chasse, le nucléaire et la déshumanisation de la planète. Et une dimension scientifique, puisque c'était un spécialiste des zones arides et un grand ichtyologue''.
Théodore Monod nous voulait montrer que nos vrais besoins sont limités, que, dans le désert, la survie est assurée par une poignée de dattes, une gourde d'eau, que nous croulons sous l'accumulation de nos désirs artificiels trop vite satisfait, et que la Terre ne peut indéfiniment supporter notre boulimie.
Né le 9 avril 1902 à Rouen (Seine-Maritime), dans une famille marquée par cinq générations de pasteurs, Théodore Monod avait fait sa scolarité primaire et secondaire à l'Ecole alsacienne à Paris. Licencié en sciences naturelles, il consacra une thèse aux crustacés. Entré au Muséum d'histoire naturelle en 1922 comme assistant, il dirigea de 1938 à 1965 l'Institut français d'Afrique noire, (IFAN, devenu ensuite Institut fondamental d'Afrique noire).
De nombreux ouvrages, notamment le célèbre ''Méharées'', mais aussi ''Bathyfolages : plongées profondes'', ''Déserts'', ''L'Emeraude des Garamantes'', ainsi que "Le Chercheur d'Absolu" où Théodore Monod nous montre que la course aveugle du capitalisme, éperdue, nous mène vers l'abîme, ont contribué à le faire connaître au-delà de la communauté scientifique. Nombre de distinctions honorifiques ont aussi été décernées à ce prodigieux savant, qui était notamment commandeur des ordres de la Légion d'honneur, des Palmes académiques et du Mérite saharien.
''Je me demande, a-t-il écrit un jour, s'il n'eut pas été préférable que je choisisse de me consacrer au bien, au sens large du mot, et à la vie spirituelle, plutôt qu'à compter des poils de crustacés, des arêtes de poissons ou des kilomètres de dunes''...
Cet homme fait partie de ceux qui nous montrent une voie... avec issue.
Toute sa vie, ce gardien de l'homme aura préféré la lucidité de l'utopie.
Il est urgent de l'écouter.
Adieu Monsieur Théodore Monod, et merci.
Merci d'y avoir cru.
David Kersan, décembre 2000
Recueillement : Temple de l'Observatoire, Mardi 28 novembre 2000, 10h30.
Inhumation : Cimetière de Châtillon, dans les Hauts-de-Seine, le même jour à 15 heures.
©L'Idéaliste