( en rouge : la zone de déforestation massive depuis1980. )

Les contradictions d'une société suicidaire sans tracé préalable ni projet supérieur :

la logique n'est pas une constante humaine

Le monde change, tourbillonne et déraisonne sous nos yeux.

Ces dernières années ont vu s'effondrer le mythe du Progrès-Pangloss. Et avec lui, toutes les valeurs qui conditionnaient notre société. Le déplorer c'est oublier que toute valeur s'inscrit et n'a de sens que dans une époque. Si les valeurs se modifient, c'est que la société elle-même se modifie. Et si les valeurs sont complètement floues, peut-être même inexistantes pour certains, ne pourrait-on en déduire tout simplement que c'est parce que l'humanité ne sait pas encore où elle va ?
Pour Victor Hugo, " l'Humanité se lève, elle chancèle, et le front baigné d'ombre, elle va vers l'aurore ". Mais entre l'aurore et le crépuscule, il n'y a qu'une journée. Exemples.

La couche d'ozone, sujet vu et revu, commenté et analysé. Et pourtant, au-delà des apparences, les choses ont-elles vraiment changé ?
Les pics de pollution des grandes métropoles sont devenus un fait courant, presque banal. Comme si cela allait de soi, comme si cela avait toujours été. Mais qui ne s'est jamais senti étouffé au moins une fois par la chape de molécules carbonées couronnant nos têtes ? La voiture électrique est saluée, mais peu sont en réalité prêts à l'accepter (question de vitesse peut-être ?), et encore moins l'Etat, qui, en perdant le bénéfice de sa taxe sur l'essence ne perdrait pas une poule aux œufs d'or, mais une corne d'abondance. Profit et intérêt immédiat au détriment de qualité et d'hygiène de vie. La logique n'est pas une constante humaine. La cohérence non plus.

    Que dire ensuite de la destruction de la forêt amazonienne ? Le poumon vert de la planète a trop fumé, il est malade. Là encore, au cœur de l'iceberg se trouvent des considérations économiques, d'intérêt immédiat. Le papier recyclé c'est bien, mais ce n'est pas très smart et surtout, trier ses poubelles pour le recyclage… quelle galère ! Faire du papier avec du chanvre ? Bof ! Et puis, l'Amérique latine, c'est tellement loin de chez nous ; comment leur déforestation pourrait-elle nous toucher ? Sauf que la déperdition d'oxygène touche la planète entière. Mais il est vrai que depuis Tchernobyl, certains vents bienveillants nous protègent. Peut-être nous sauveront-ils encore une fois ? La logique n'est pas une constante humaine. Le bon sens non plus.

L'agriculture est un terreau fertile ! Après une période de folie bovine, les médiatiques OGM entrent en scène. La question est de toutes les conversations, de tous les débats. Il est de bon ton aujourd'hui de dénoncer les manipulations génétiques. Pourtant, quand les Etats-Unis proposent sur Internet la vente de gamètes accompagnés d'une biographie et d'une photo de leur créateur, la réaction générale est beaucoup plus positive. Certes, l'enthousiasme ne se manifeste pas ouvertement. Tout de même, un peu de décence. Mais, changez une lettre et cela devient " démence ".
    La génétique alimentaire fait peur parce qu'elle nous menace directement, parce que nous n'y voyons pas d'autres avantages que le monopole économique de fait de certaines grosses entreprises. Notre intérêt immédiat est en jeu. Notre survie même.
    Mais choisir un gamète, n'est-ce pas à long terme un danger beaucoup plus pernicieux, beaucoup plus terrifiant ? La précision chirurgicale de Bienvenue à Gatacca campe un avenir qui pourrait très bientôt devenir le nôtre, avenir qu'au fond, beaucoup de gens accepteraient. Encore plus inquiétant, l'ambivalence du clonage. Guérir certaines maladies certes, mais qui oserait dire que les Gouvernements ne pensent pas au soldat parfait ? " Le meilleur des mondes " profile son ombre à l'horizon.

Génome, eugénisme et clonage, tout se mêle en un joyeux carnaval. Dans son roman, La marque de Cassandre, Tchinghiz Aïtmatov sait trouver les mots justes : " J'essaye aujourd'hui de comprendre comment cela a pu se faire, comment j'ai pu, dans mon aveuglement, quitter la grotte noire de la science à qui tout indiffère sauf sa destinée elle-même, mais à l'époque, je ne soupçonnais pas à quel point il fallait être inconscient pour s'adonner à cette activité qui outrepassait, et de loin, les bornes de la morale et de la sécurité ". La science ne peut se passer d'éthique, sous peine de suicide. Prétendre que nous en avons une, c'est croire au hochet qu'agitent devant nous les politiciens. Mais cela est beaucoup plus confortable.
La logique n'est pas une constante humaine. Se tenir debout et être responsable non plus.

La lecture et la culture sont plébiscitées, louangées. La médiocrité télévisuelle est déplorée. Mais combien préfèrent une soirée lecture-discussion à une soirée couch potatoes ? La violence télévisuelle est jugée répréhensible, quel mauvais exemple ! Mais combien soustraient leurs enfants à cette influence ? La logique n'est pas une constante humaine. Se respecter en mettant en œuvre valeurs et paroles non plus.

    Somme toute, l'on pourrait presque dire qu'" il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre ". Cette phrase semble résumer en quelques caractères l'attitude contemporaine actuelle d'attentisme et d'indifférence à tout ce qui n'est pas soi. Sauf que sur le long terme, on ne peut changer que ce que l'on a reconnu et accepté. Accepter une chose en donne la maîtrise, tout simplement parce que se poser une question, c'est déjà détenir la moitié de la réponse. En revanche, il impossible de remédier à ou de changer quelque chose que l'on a déclaré inexistant.


Alors pourquoi ne pas se poser ces questions ? Parce qu'y répondre nous obligerait à changer. Parce que prendre du recul, c'est se libérer. Or, il est beaucoup plus facile de se tourner systématiquement vers l'Etat, d'accuser la société, le voisin ou la famille, bref, de se poser en victime que d'agir et de se prendre en charge. Pourtant, seule cette dernière solution est viable à long terme.

Mais la logique n'est pas une constante humaine.

Isabelle Ballester, décembre 1999