Le
monde change, tourbillonne et déraisonne sous nos yeux.
Ces dernières années
ont vu s'effondrer le mythe du Progrès-Pangloss. Et avec lui,
toutes les valeurs qui conditionnaient notre société.
Le déplorer c'est oublier que toute valeur s'inscrit et n'a de
sens que dans une époque. Si les valeurs se modifient, c'est
que la société elle-même se modifie. Et si les valeurs
sont complètement floues, peut-être même inexistantes
pour certains, ne pourrait-on en déduire tout simplement que
c'est parce que l'humanité ne sait pas encore où elle va ?
Pour Victor Hugo, " l'Humanité se lève, elle chancèle,
et le front baigné d'ombre, elle va vers l'aurore ". Mais entre
l'aurore et le crépuscule, il n'y a qu'une journée. Exemples.
La couche d'ozone, sujet vu et revu, commenté
et analysé. Et pourtant, au-delà des apparences, les choses
ont-elles vraiment changé ?
Les pics de pollution des grandes métropoles sont devenus un
fait courant, presque banal. Comme si cela allait de soi, comme si cela
avait toujours été. Mais qui ne s'est jamais senti étouffé
au moins une fois par la chape de molécules carbonées
couronnant nos têtes ? La voiture électrique est saluée,
mais peu sont en réalité prêts à l'accepter
(question de vitesse peut-être ?), et encore moins l'Etat, qui,
en perdant le bénéfice de sa taxe sur l'essence ne perdrait
pas une poule aux œufs d'or, mais une corne d'abondance. Profit et intérêt
immédiat au détriment de qualité et d'hygiène
de vie. La logique n'est pas une constante humaine. La cohérence
non plus.
Que dire ensuite de la destruction de la forêt
amazonienne ? Le poumon vert de la planète a trop fumé,
il est malade. Là encore, au cœur de l'iceberg se trouvent des
considérations économiques, d'intérêt immédiat.
Le papier recyclé c'est bien, mais ce n'est pas très smart
et surtout, trier ses poubelles pour le recyclage… quelle galère
! Faire du papier avec du chanvre ? Bof ! Et puis, l'Amérique
latine, c'est tellement loin de chez nous ; comment leur déforestation
pourrait-elle nous toucher ? Sauf que la déperdition d'oxygène
touche la planète entière. Mais il est vrai que depuis
Tchernobyl, certains vents bienveillants nous protègent. Peut-être
nous sauveront-ils encore une fois ? La logique n'est pas une constante
humaine. Le bon sens non plus.
L'agriculture est un terreau fertile ! Après une période
de folie bovine, les médiatiques OGM entrent en scène.
La question est de toutes les conversations, de tous les débats.
Il est de bon ton aujourd'hui de dénoncer les manipulations génétiques.
Pourtant, quand les Etats-Unis proposent sur Internet la vente de gamètes
accompagnés d'une biographie et d'une photo de leur créateur,
la réaction générale est beaucoup plus positive.
Certes, l'enthousiasme ne se manifeste pas ouvertement. Tout de même,
un peu de décence. Mais, changez une lettre et cela devient "
démence ".
La génétique alimentaire fait
peur parce qu'elle nous menace directement, parce que nous n'y voyons
pas d'autres avantages que le monopole économique de fait de
certaines grosses entreprises. Notre intérêt immédiat
est en jeu. Notre survie même.
Mais choisir un gamète, n'est-ce pas
à long terme un danger beaucoup plus pernicieux, beaucoup plus
terrifiant ? La précision chirurgicale de Bienvenue à
Gatacca campe un avenir qui pourrait très bientôt devenir le
nôtre, avenir qu'au fond, beaucoup de gens accepteraient. Encore plus
inquiétant, l'ambivalence du clonage. Guérir certaines
maladies certes, mais qui oserait dire que les Gouvernements ne pensent
pas au soldat parfait ? " Le meilleur des mondes " profile son ombre
à l'horizon.
Génome, eugénisme et clonage, tout
se mêle en un joyeux carnaval. Dans son roman, La marque de Cassandre,
Tchinghiz Aïtmatov sait trouver les mots justes : " J'essaye aujourd'hui
de comprendre comment cela a pu se faire, comment j'ai pu, dans mon
aveuglement, quitter la grotte noire de la science à qui tout
indiffère sauf sa destinée elle-même, mais à
l'époque, je ne soupçonnais pas à quel point il fallait
être inconscient pour s'adonner à cette activité
qui outrepassait, et de loin, les bornes de la morale et de la sécurité
". La science ne peut se passer d'éthique, sous peine de suicide.
Prétendre que nous en avons une, c'est croire au hochet qu'agitent
devant nous les politiciens. Mais cela est beaucoup plus confortable.
La logique n'est pas une constante humaine. Se tenir debout et être
responsable non plus.
La lecture et la culture sont plébiscitées, louangées.
La médiocrité télévisuelle est déplorée.
Mais combien préfèrent une soirée lecture-discussion
à une soirée couch potatoes ? La violence télévisuelle
est jugée répréhensible, quel mauvais exemple !
Mais combien soustraient leurs enfants à cette influence ? La
logique n'est pas une constante humaine. Se respecter en mettant en
œuvre valeurs et paroles non plus.
Somme toute, l'on pourrait presque dire qu'"
il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne finisse
par résoudre ". Cette phrase semble résumer en quelques
caractères l'attitude contemporaine actuelle d'attentisme et
d'indifférence à tout ce qui n'est pas soi. Sauf que sur
le long terme, on ne peut changer que ce que l'on a reconnu et accepté.
Accepter une chose en donne la maîtrise, tout simplement parce que se
poser une question, c'est déjà détenir la moitié
de la réponse. En revanche, il impossible de remédier
à ou de changer quelque chose que l'on a déclaré
inexistant.
Alors pourquoi ne pas se poser ces questions ? Parce qu'y répondre
nous obligerait à changer. Parce que prendre du recul, c'est
se libérer. Or, il est beaucoup plus facile de se tourner systématiquement
vers l'Etat, d'accuser la société, le voisin ou la famille,
bref, de se poser en victime que d'agir et de se prendre en charge.
Pourtant, seule cette dernière solution est viable à long
terme.
Mais la logique n'est pas une
constante humaine.