Corentin Brustlein, décembre 1999

"... Soit l'humanité détruira les armements

Soit les armements détruiront l'Humanité."
Albert Einstein


Pour tenter de mettre un frein à la course aux armements nucléaires qui avait failli faire plonger le monde dans le gouffre de la guerre nucléaire à Cuba, les Etats Unis et l'URSS avaient mis en marche à la fin de années 60 le processus de l'Arms Control(Maîtrise des armements), qui s'était traduit dès 1972 par plusieurs traités bilatéraux regroupés au sein des accords SALT( Strategic Arms Limitation Talks), complétés de réels traités de réduction des armes nucléaires: les traités INF (1987; Intermediate Nuclear Forces) et START (STrategic Arms Reduction Talks: I et II, en 1991 et 1993).
Le dernier traité en date est le CTBT, ou TICEN (Traité d'Interdiction Complète des Essais Nucléaires), signé en 1996, qui, s'il ne porte pas sur l'armement, doit instaurer une ère nouvelle dans l'histoire du désarmement et de la lutte contre la prolifération.



Or, voici 6 ans que la Douma refuse de ratifier START II.
De même, il y a un mois aujourd'hui, le Sénat américain, n'ayant cure la conjoncture internationale, traitant le TICEN comme une vulgaire affaire de politique intérieure, refusa de le ratifier, fissurant l'édifice que les gouvernements du monde entier essayaient d'élever comme rempart face à la prolifération. Le TICEN comporte, dans le texte, la mise en place de mesures de vérification et sous entend la rédaction par la suite d'un traité Cut Off devant arrêter toute production de matières fissiles entrant dans la composition des armes nucléaires. Seulement, ce traité ne pourra entrer un vigueur que lorsque les 44 Etats désignés de façon nominative dans l'accord auront signé et ratifié le traité, ce qui est malheureusement loin d'être le cas: 24 pays ont ratifié le texte, 17 l'ont juste signé(dont les Etats Unis, la Russie et la Chine) et 3 Etats ne l'ont ni signé ni encore moins ratifié (trois pays pour le moins instables que sont le Pakistan, l'Inde et la Corée du Nord). La France et la Grande Bretagne ont quant à elles ratifié le traité dès avril 1998, la France marquant ainsi son engagement dans la politique de désarmement nucléaire international, fermant son polygone d'essais du Pacifique, ratifiant le traité de Rarotonga (dénucléarisation du Pacifique sud) et stoppant sa production de matières fissiles destinées aux têtes nucléaires. Mais qu'adviendra t-il du TICEN si même les 5 possesseurs d'armes atomiques reconnus comme tels par l'ONU ne peuvent faire front commun pour une plus grande stabilité internationale?

Les accords SALT comprenaient un volet, constituant la moitié des accords, portant sur les armes anti-balistiques destinées à détruire les missiles nucléaires avant leur arrivée sur la cible(systèmes ABM, Anti Balistic Missiles). Ce traité, imposant de sévères restrictions sur le nombre de sites devant posséder de telles installations antibalistiques(deux sites aux Etats Unis et deux en URSS, puis un seul lieu à partir de 1974), est depuis devenu une base pour freiner la course aux armements et renforcer la doctrine de dissuasion nucléaire, qui pourrait se trouver bousculée par la mise en place de systèmes antimissiles pouvant pousser le détenteur du système le moins évolué à faire usage d'armes atomiques en premier du fait qu'il se sente menacé.

Et nous avons appris que les Etats Unis avaient procédé dimanche 3 octobre à un essai de leur nouveau système antimissile NMD(National Missile Defense) qui doit se substituer à l'IDS (Initiative de Défense Stratégique, "Star Wars"), lancé en 1983 par Reagan et abandonné en 1993 par William Clinton.

En dix jours, les Etats Unis ont asséné deux coups brutaux à l'édifice en pleine construction qu'est la stabilité nucléaire, qu'il est impérieux de renforcer plus vite que ne s'éparpillent les secrets et les scientifiques de l'armement nucléaire. On connaissait déjà la manie des Etats Unis de gérer le dollar en fonction de leurs besoins propres, voilà qu'une course au pouvoir dans le pays le plus puissant(et le plus endetté) de la planète utilise la politique étrangère comme variable d'ajustement du budget ainsi que comme exutoire aux frustrations de tels ou tels groupes politiques ayant subi une défaite lors d'un débat intérieur récent (en matière de politique de santé, dans ce cas là).

Les conséquences de tels actes influent considérablement sur les engagements des Etats Unis auprès de leurs homologues internationaux1, et remettent en question la place qu'il faudrait réserver dans les grandes négociations internationales à un pays dont une partie importante de la classe politique semble mépriser le reste du monde et s'en retourner dans une diplomatie isolationniste. Celle-ci pourrait se trouver renforcée d'avantage en cas de victoire républicaine lors des futures élections présidentielles, comme par exemple par le biais d'un désengagement des Etats Unis sur les théâtres extérieurs ; désengagement en effectifs…
…mais aussi en crédits, alors que l'on connaît la prépondérance écrasante du pays dans la communauté internationale : prééminence économique, politique, militaire et, à ne surtout pas négliger, culturelle. Les Etats Unis sont donc, semble t-il, face à un choix englobant toutes les sphères internationales. Que choisir : Le maintien à une place de leader quasi omnipotent, position d'une valeur très élevée, mais d'un coût qui, d'après les partisans de l'isolationnisme, l'est tout autant ? Ou bien entamer une politique de désengagement, au risque de nier les implications des Etats Unis dans la communauté internationale, afin de s'ôter toute responsabilité vis-à-vis de maux qui pourraient être qualifiés de " secondaires ", car ne relevant pas du domaine intra-national ?

En attendant les élections de novembre 2000 qui, espérons-le, sanctionneront cette irresponsabilité, nous ne pouvons que souhaiter que le Président des Etats Unis rejette le lancement du programme NMD (décision qui, si elle avait lieu, se ferait en juin) afin de redonner un soupçon de crédibilité à la diplomatie américaine qui peut sembler pour le moins incohérente. En matière de désarmement, ratifier le TICEN rendrait l'accession à l'arme atomique plus difficile; En quoi le NMD serait-il si nécessaire dans cette situation? Ne vaudrait-il mieux pas ménager les Russes en essayant de ne pas remettre en cause le traité ABM et de parvenir à la ratification de START II ainsi qu'aux négociations d'un très souhaitable START III ?

Peut-on se permettre de sacrifier la sécurité et la stabilité internationales sur l'autel de la politique intérieure ?

La question est simple, l'enjeu décisif, quant à la réponse…
La seule chose que nous en savons, c'est qu'elle ne sera pas du ressort des peuples.


Corentin Brustlein


1: William Clinton a d'ailleurs eu récemment à opposer son véto au budget des affaires étrangères voté par le Sénat qui était si bas qu'il ne permettait pas la mise en application des accords Israélo-Palestiniens de Wye Plantation.

 



Les Etats-Unis lance la première bombe atomique de l'Histoire...

Liens en corrélation avec l'article:

http://www.fas.org/spp/starwars/program/nmd.htm: La partie du site de la Federation of American Scientists consacrée au National Missile Defense; Vous y trouverez d'autres liens sur ce programme antimissile.

http://www.acda.gov: Le site de l' Agence américaine pour le désarmement nucléaire; vous y trouverez les textes intégraux de tous les traités cités ci-dessus.

Cette très courte liste sera completée au fur et à mesure...

Hiroshima après la Bombe Atomique.


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