Sébastien Cretin, décembre 1999

Critique de l'ultime de Beethoven : la neuvième symphonie

Sous la phalange d'un Ludwig Van Beethoven, la musique prend l'habit de la résonance. Le souffle fait œuvre, massif, colossal, universel : le Romantisme trouve un panthéon, le Lyrisme, les colonnes d'un temple à sa gloire dédié, et l'Humanisme tous ses sacrements.

Sous la phalange d'un Ludwig Van, le Musique prend la forme de la consistance. Elle devient une eucharistie. Chaque bouche essuyée par le vent inhalé est celui du témoin, nourri, d'une cène. Chaque oreille couvée par la portée est celle d'un apôtre converti.

C'est le goût qu'a pour moi la substance du neuvième chapitre des chants symphoniques de la Sirène allemande. Il faut avoir pour ce livre de quatre vers les égards d'un lecteur séduit.

Le quatrain en Ré mineur, composé sous la dictée fatiguée d'une silhouette courbée sur un piano, me fascine. Prodige de la plume sourde du maestro de Bonn, un monde et ses passions habitent le simple apparat de quatre vers. Tout est là, dans l'intention mélodique : la course de l'orchestre et ses élans impriment les esprits dans l'éphémère d'une écoute. Le torrent polyphonique décline ses fureurs, écume, se brise ou gronde dans quatre respirations. Puis se tait, après avoir tout dit.

Et le génie tient à ce point son sujet que les muses en émissaires dociles travaillent avec le zèle de la diligence. Le fumet de la perfection apporte sa confusion et trouble les sens. Courbes lisses d'un poème écrit ou brises de vagues aériennes ? Lesquelles de ces volutes chatouillent mes oreilles ?

La musique me ment, me trompe et transcende les règles de la poétique dans son manège d'illusions : le portée livre ses sillons noirs pour lignes de fertilité ; les violons leurs rimes, riches, complexes, nouvelles à chaque audience et fruits des transports de l'archet ; l'orchestre déclame ses mots, son langage secret, l'harmonie ; enfin la morale, dessinée en épilogue, en péroraison chantée par les Voix, par l'Humain et la Vie, clôture. L'instant écarte les bois vernis, les éclisses et les cuivres. Le réel de l'instrument s'efface devant l'immatériel de la perception des chœurs.

Les échos de la chorale paraphent la quarte d'alexandrins et m'enseignent dans leur agonie vaporeuse la célébration du maître d'œuvre : " ce sourd qui entendait l'infini ". C'est la filandre de la barbe blanche d'un Hugo qui vibre du puissant paradoxe. Les courbes noires de l'imprimerie, si exactes, et si frêles, ne peuvent rendre sa juste grâce à l'exhaustivité de la contradiction.

L'âme d'Hugo s'anime par le branle de vocales d'airain, et le brouillard confus du penseur auguste s'éventre de deux lèvres et d'une haleine éclairée. Il faut voir se dire cette clameur titanesque. Il faut la voir causer à la figure du Poète la plaie la plus hideuse : celle qui sépare le menton d'une moustache, celle qui trace l'écarlate d'une bouche dans la barbe du Sage, celle qui commet l'indignité d'abandonner à l'air les bourrasques capiteuses d'une pensée colossale, et l'affront d'en priver le charbon d'une plume en son manège.

Il faut l'entendre, enfin, cette clameur titanesque, visiter Beethoven, le comprendre, atteindre la fin de ce monde, et induire dans tout le difficile fracas de son Odyssée, les réminiscences de l'impensé. Beethoven avait provoqué le sentiment irréfléchi, argileux, informe, le malaise incompris de la sensation absolue. Hugo ne résout pas l'indéfini, mais il le fait de marbre, le certifie, et baptise le seuil d'une entrée qu'il a déjà franchie.

Il fallait, dans leur fortes réalités, une broussaille écorchée et le front d'un géant pour confondre l'illogique et convaincre l'éternité d'un Beethoven comme père d'une porte ouverte.

Sébastien Cretin


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