Edwige Ducreux et Bruno Thomé
, juin 2001

En exclusivité pour L'Idéaliste,

les amis intimes de Guy Georges ouvrent un espace de réflexion : la prévention

     Les troubles de la personnalité dont souffre Guy Georges sont très déroutants car ils n'impliquent aucune altération du discernement lors de ses passages à l'acte. Or on ne peut pas concevoir qu'un criminel conscient de ses actes soit malade. On va alors chercher la raison de ses crimes. Mais nos idées reçues seront une nouvelle fois malmenées puisqu'une des caractéristiques des tueurs en série est justement d'agir " en l'absence de tous mobiles apparents ". Notre quête de raisons restant veine, ce qui nous échappe deviendra alors le lieu de toutes les projections. Considéré comme monstre, bête ou démon, on tentera de se rassurer en invoquant la fatalité : il est né comme ça, on n'a rien pu y faire et on ne pourra rien y faire . Hors de notre entendement, on se refusera toute proximité avec lui, ses troubles et ses actes. On lui déniera le statut d'être humain.
Or ce phénomène de mystification constitue une entrave à la compréhension et à la prévention de ces situations dramatiques. Les connaissances scientifiques actuelles donnent pourtant des éléments de réponses à ces interrogations. Il serait temps qu'elles soient connues du grand public et utilisées en faveur d'une réelle prévention.

DIABOLISER ET REPRIMER

" Ici c'est du théâtre " avait lancé Guy Georges à la cours d'Assises de Paris. Une critique que journalistes et avocats médiatiques préférèrent retourner contre son auteur : tous reprochèrent dès lors à l'accusé d'être le metteur en scène et l'acteur principal de son théâtral procès.

Une vision manichéenne

Mais la dramaturgie des audiences fut bien plus proche encore d'un certain cinéma hollywoodien. Car c'est comme un tueur de mauvaises série B que Guy Georges a été unanimement présenté durant son procès. Que ce soient l'avocat général, les parties civiles ou les journalistes, tous décrivirent le célèbre Tueur de l'Est parisien comme un méchant de fiction machiavélique haïssant la Terre entière, se plaisant à manipuler ses amis comme ses ennemis, et se jouant de nos bienfaisantes institutions… L'avocate générale Evelyne Gosnave-Lessieur décrivit même Guy Georges comme " l'incarnation du Mal absolu ", celui qui " a donné des leçons à l'enfer ", dans un réquisitoire final qui rappela de manière inquiétante le temps de l'Inquisition.

Pourtant, lors de leur audience, la veille même de ce plaidoyer, les experts-psychiatres avaient mis en garde contre cette attitude qui tendait à diaboliser ce type de meurtrier. Car une telle mystification non seulement complaît l'individu concerné dans cette starification, mais constitue une entrave à la compréhension et à la prévention de ces situations dramatiques.
Ils avaient ainsi souligné combien il était vain de projeter sur lui nos propres sensations, nos propres façons de penser : si Guy Georges réagissait " normalement ", il n'aurait pas commis de tels actes. Rappelant qu'il n'était pas capable de trouver une explication à ses crimes, ils expliquèrent qu'il ne fallait surtout pas attendre de lui ce qu'il n'était pas en mesure de donner.
Ils préconisaient donc de s'attacher à déterminer le " comment ", plutôt que de s'acharner à répondre à un " pourquoi ", qui ne trouverait aucune réponse rationnelle.

Approximations médiatiques

Mais les médias, imperméables à toute recommandation, ne se soucièrent surtout pas du " comment ". Obnubilés par l'audience, ils privilégièrent comme à leur habitude le sensationnalisme au détriment du sens. Ils eurent pourtant la prétention de faire figurer leurs articles dans la rubrique Société…

Que le docteur Daniel Zagury, l'un des trois experts-psychiatres, critique à plusieurs reprises la déformation permanente de leurs propos par la presse, ne changea rien aux approximations médiatiques.
Ainsi, les experts eurent beau préciser que Guy Georges " effaçait toute trace psychique de ces actes ", qu'il ne vivait d'ailleurs pas " comme une expérience du moi ", les médias continuèrent à clamer que Guy Georges ne révélait pas certains détails de ses crimes par pur sadisme. De même qu'ils s'obstinèrent à parler d'une " stratégie de la défense ", sous-entendant une mise en scène de ses aveux, alors les psychiatres eux-mêmes s'étaient déclarés étonnés qu'il " craque ", précisant la difficulté pour un pervers narcissique de dépasser le dénie et donc de mettre en danger sa " carapace auto-protectrice ".Enfin, le docteur Zagury avait insisté sur le danger de lui refuser a priori tout espoir de guérison. Il rappela que, même si à l'heure actuelle les psychothérapies n'étaient pas efficaces pour ce genre de cas, il ne fallait pas négliger les avancées éventuelles de la science dans ce domaine, qui offriraient peut-être dans quelques années des possibilités de traitements. Le lendemain Libération titrait : " Les psys enfoncent Guy Georges "et France Soir : " Les psys estiment Guy Georges incurable "…

L'expert avait pourtant clairement averti que " si on ne confère pas cet epsilon [d'espoir] à cet homme, il ressortira encore plus dangereux. Il ne faut pas tomber dans la mythologie; si on refuse l'espoir, on contribue aux futurs massacres ".

Le fichier des empreintes génétiques, un outil mais pas une solution
Si les paroles des experts sont souvent mal comprises, il fut intéressant de remarquer combien les différentes disciplines scientifiques ne bénéficièrent pas du même traitement. Ne maîtrisant pas plus la génétique que la psychiatrie, les médias oublièrent ou déformèrent systématiquement les notions psychiatriques, mais ne cessèrent de réserver leur " Une " à la génétique, unanimement présentée comme seule science capable de résoudre ces problèmes de criminalité.
Les médias ont en effet expliqué que l'arrestation si tardive du tueur de l'Est parisien tenait uniquement à l'absence d'un fichier d'empreintes génétiques des criminels sexuels. Tous se sont scandalisés que non seulement ce fichier ne soit pas encore fonctionnel, mais qu'en plus, tel qu'il était prévu, il demeurait insuffisant.

Si le fichier génétique constitue un outil qu'il est important de mettre en pratique, il convient cependant d'en rappeler les limites.
C'est justement à cause d'une empreinte génétique recueillie sur un ticket de théâtre dans la voiture de l'une des victimes, Elsa Benady, que Guy Georges sera innocenté en 1995. L'ADN prélevé n'était pas le sien. Cet ADN a pu appartenir à n'importe quel ami d'Elsa qui est monté dans sa voiture, ce n'est pourtant pas cette personne qui l'a violée puis tuée. Il faut donc bien comprendre qu'une trace génétique atteste la présence d'un individu sur un lieu, sur un substrat, pas la preuve de sa culpabilité.
Mais la preuve ADN ne supporte aucune remise en cause. Ainsi Maître Alex Ursulet, avocat de Guy Georges, d'être violemment toisé par l'avocat général " d'oser douter d'une expertise génétique ", quand il ose rappeler l'erreur de frappe qui figure dans le dossier de Guy Georges entre 1995 et 1997 au niveau de ses empreintes génétiques. Selon l'avocat, cette erreur, commise par le Docteur Olivier Pascal, le généticien qui a identifié Guy Georges en 1997, aurait biaisé le fichier génétique s'il avait été fonctionnel. Elle rappelle, en tous cas, la dimension humaine dans le traitement des empreintes génétiques, et le danger d'y voir aveuglément une preuve infaillible.

C'est ce même expert, qui ne cessa de réclamer pendant tout le procès l'extension du fichier d'empreintes génétiques à tous les délinquants, et ce jusqu'au moindre voleur de bicyclette…
L'argument était que Guy Georges n'aurait pas figuré dans le fichier tel que la loi le prévoit. Enoncé de la sorte, l'argument semble pertinent et sans appel, interdisant toute réflexion éthique sur la constitution d'un tel fichier, tant l'enjeu semble important.
Or la seule raison pour laquelle Guy Georges, pourtant condamné en 1984 pour viol, n'aurait pas été répertorié dans ce fichier génétique est que le projet de loi actuel le limite aux seuls crimes sexuels sur mineur (une limite évidemment aberrante qui contribue à minimiser le crime sexuel sur majeur).
Par ailleurs certains criminels ne seraient pas fichés parce qu'ils bénéficient d'une déqualification de peine afin que leurs actes puissent être traités en comparution immédiate. On aboutit donc à des procès bâclés qui n'ont d'autres buts que de désengorger les palais de justice. Sans compter la minimisation des crimes sexuels puisqu'on se permet de décatégoriser une violence sexuelle en violence tout court.
Enfin, il faut bien comprendre qu'un individu, même fiché pour un vol de bicyclette, devra commettre au moins un crime pour être arrêté. C'est un crime de trop. Il s'agit donc bien de mesures répressives, et non préventives.

La création du fichier d'empreintes génétiques est nécessaire mais pas suffisante. Le brandir comme unique solution occulte tous les autres problèmes et empêche l'émergence d'un véritable débat de fond sur la manière de véritablement prévenir certaines formes de criminalité.
La prévention ne consiste pas à arrêter plus tôt et enfermer plus longtemps les psychopathes, mais à comprendre et lutter contre les conditions de développement de telles pathologies mentales.
Tant que les institutions ne tiendront pas compte de toutes les avancées de la recherche, mais seulement des progrès scientifiques appliqués à la surveillance et la punition, tant qu'elles perdureront dans une vision manichéenne réduisant les criminels à des monstres à enfermer, la société continuera de créer de tels " monstres ".

Les sciences étudiant le fonctionnement humain comme la psychiatrie, la psychologie et l'éthologie (cette branche de la biologie qui étudie les comportements animaux dont humains), et notamment leurs travaux sur les nouveau-nés, l'enfant et le développement de l'individu, pourraient aider à combattre certains maux de société à la base, et pas seulement panser les plaies…

COMPRENDRE ET PREVENIR

Dans son réquisitoire final, Maître Frédérique Pons, l'avocate de Guy Georges, s'était adressé directement à lui: " Vous avez été diagnostiqué psychopathe, c'est un mal insupportable car il vient aux hommes par les hommes. Vous n'êtes pas né psychopathe. Ce n'est pas votre ADN, ce n'est pas votre sang, il est le même que le nôtre. Vous n'êtes pas né psychopathe, vous êtes devenu psychopathe. "

" Le gène du meurtrier n'existe pas "

ont rappelé les experts psychiatres lors du procès du Guy Georges pour dissiper toute confusion. Le fait que Guy Georges ait été confondu par ses empreintes génétiques n'implique pas que sa pathologie soit génétique. De la même façon, lorsqu'un individu est identifié par ses empreintes digitales, il n'a pas forcément commis son crime avec ses propres mains.
Cet amalgame tient au fait que la notion d'ADN demeure floue pour la plupart d'entre nous. Cette molécule contient l'information à partir de laquelle un individu, dès sa conception, va se développer morphologiquement, physiologiquement et comportementalement. Mais tout n'est pas déterminé par cette molécule. Les potentialités génétiques vont s'exprimer différemment en fonction de l'environnement dans lequel l'individu se développe. Ainsi si le sourire est une faculté innée chez l'humain, c'est la réponse de la personne à qui ces mimiques s'adressent qui vont leur donner un sens pour le nouveau-né : si la mère répond aux sourires de l'enfant par des sourires et des gazouillis, l'enfant va associer cette mimique à une situation agréable. Il en est de même pour le froncement de sourcil, comme l'explique Boris Cyrulnik (1), neuropsychiatre et éthologue :
" Dès la naissance et même in utero, l'enfant est reçu par ses parents et dans l'histoire de ceux-ci. Bien plus que les déterminations génétiques, les réactions des parents devant le comportement de leur nouveau-né sont importantes. Un exemple : devant un enfant qui fronce les sourcils, une maman peut se dire : " il a mauvais caractère " ou " il se sent mal ". Ces interprétations induisent deux réactions opposées : " je vais te mater, moi " ou " Ne t'inquiète pas, je vais t'aider ", qui vont modifier l'attitude immédiate du bébé (pleurs ou sourire) puis, au fil du temps, son attitude générale. "
Cet exemple montre qu'il y a donc toujours intrication entre dispositions innées (génétiques) et acquises (environnementales) et que nous avons besoin de l'autre pour nous construire comme être social.

L'empreinte, une période d'apprentissage primordiale

Ce modelage du cerveau humain débute dans le ventre de notre mère, qui constitue le premier environnement affectif d'un individu, et son premier foyer de communication par voies olfactive, tactile et auditive. Des études ont en effet montré que l'état dépressif d'une mère lors de sa grossesse a des répercussions sur les réactions émotionnelles de son enfant. C'est ensuite à partir des relations affectives que le bébé partage avec son environnement parental (parents ou substituts de parents) qu'il va tisser la matrice de ses relations sociales et sexuelles futures. La vie prénatale et les premiers mois d'un individu constituent donc une période d'apprentissage particulière qu'on appelle l'empreinte. Ethologues, psychologues et psychiatres s'accordent pour dire que le manque de repères lors de cette période d'empreinte, engendrent des conséquences désastreuses sur la construction d'un individu.
Tout au long de sa grossesse, la mère de Guy Georges ne pense qu'à avorter. Elle abandonnera à la naissance cet enfant qu'elle n'a jamais désiré. L'abandon, vécu comme une " mort psychique " constitue " la plus profonde des violences ", expliqueront les experts-psychiatres lors du procès.

Tous les enfants mal-traités ne deviennent pas maltraitants, mais…
Puisque les pathologies psychiques prennent naissance dans une enfance malheureuse, on a du mal à comprendre pourquoi tous les enfants de la DDASS ne deviennent pas serial killer.

Or il ne sert à rien d'uniformiser dans une même catégorie tous les orphelins. L'âge d'abandon, la durée passée à la DDASS, etc., sont autant de variantes qui font que chaque parcours est unique et qu'il n'existe pas d'entité " enfant de la DDASS " en terme de traumatisme.
Par ailleurs, si la période d'empreinte est constitutive et primordiale, elle n'est heureusement pas irréversible. Il est en effet possible, dans certaines conditions, de surmonter les pires chocs émotionnels. Il s'agit du phénomène de " résilience ", objet des derniers travaux de Boris Cyrulnik (2). Pour que des individus parviennent à dépasser leur traumatisme, ils doivent parvenir à intellectualiser leur manque afin de pouvoir surmonter et transformer leur souffrance en moteur et se construire comme être social malgré tout. Or la condition sine qua non à la réalisation de ce phénomène de résilience est de bénéficier d'un entourage affectif approprié . " Cette main tendue, sorte de mentor ", comme le définiront eux-mêmes les experts-psychiatres au cours du procès de Guy Georges, " n'apparaît jamais dans son parcours. "

Pourtant cette rencontre opportune est indispensable. Si tous les enfants maltraités ne deviennent pas des personnes ou des parents maltraitants, à l'inverse, les personnes qui souffrent de pathologies psychiques graves, entraînant des comportements déviants, ont subi des traumatismes durant l'enfance. En témoignent les chiffres avancés par l'association Famille d'Abord (ALFA) selon lesquels 75% des détenus sont passés par la DDASS.

Ballotté de nourrice en nourrice, Guy Georges séjournera plusieurs mois à la DDASS avant d'intégrer, à sept mois et demi, la famille d'accueil des Morin, qui comptera jusqu'à 19 enfants. " Sorte d'élevage en batterie d'orphelins "selon les experts psychiatres, la famille Morin ne confère à ces enfants qu'une éducation impersonnelle, une " sorte de magma éducatif où n'existe aucun rapport différencié ". Les experts précisent encore qu'il s'agit d'un schéma relativement fréquent dans des familles si nombreuses, qui permet de désengorger les services de la DDASS, mais ne répond pas au besoin de l'enfant.

Les rapports d'experts relatifs à l'enfance de Guy Georges sont pour le moins évocateurs de cette situation inadaptée. Pendant son enfance, un psychiatre avait repéré chez lui des " problèmes psychoaffectifs ", " nécessitant une prise en charge psychothérapeutique. "
A douze ans, une psychologue le décrit comme " trop défensif " et présentant " une boulimie importante, peut-être symptôme d'un trouble affectif. "
A la même époque, le directeur de son collège souligne " ce besoin qu'on s'occupe de lui ".
" Guy cherchait par tous les moyens à attirer l'attention , depuis l'affabulation jusqu'à la violence ".

Mais les comptes-rendus des éducateurs, psychologues et psychiatres ont coutume d'encombrer les tiroirs et de n'être lus… qu'à l'occasion d'un procès. Leurs recommandations pourraient pourtant servir à des changements d'orientation indispensables au bon déroulement du développement affectif, éducatif et psychique de l'enfant.

Filiation et identité

A l'âge de 7 ans, Guy Rampillon est débaptisé par la DDASS. Il devient Guy Georges. Cette mesure n'a d'autre but que d'effacer tous liens avec sa famille génétique. C'est en effet à cette date que Mme Rampillon daigne venir attester l'abandon de son enfant. Jusqu'ici il n'était pas adoptable car toujours considéré sous la tutelle de sa mère. Guy Georges, écrira en 1983 à cette administration à laquelle il appartient désormais pour demander l'identité de ses parents et la possibilité de reprendre son nom. Il ne recevra jamais de réponse.
Au procès, il redemandera, comme une question lancinante : " Pourquoi m'avoir enlevé la moitié d'identité que j'avais? ".

" Dès qu'on touche à la filiation, on rend violent ", avertissent pourtant les psychiatres. Il serait donc temps de prendre des mesures pour parer à des situations dont on connaît les tenants et les aboutissants. Par exemple, contraindre les parents génétiques à décider de la garde ou de la relégation de leurs droits parentaux dans un laps de temps plus court pourrait favoriser l'insertion de l'enfant au sein d'une autre famille et peut-être minimiserait les troubles liés à la perte d'identité.

Il ne s'agit pas de jeter la pierre à des gens qui, somme toute, ont été motivés par un sentiment altruiste (DDASS, famille d'accueil). Mais la bonne volonté ne suffit pas toujours.
Le manque d'information et d'infrastructures adaptées peut engendrer les situations dramatiques que nous connaissons. Or ce sont des humains et des relations humaines qui sont en jeu. Puisque certaines solutions existent, sachons les appliquer et montrer ainsi où l'on place le sens des priorités.
Boris Cyrulnik (3) estime que "les institutions qui accueillent les enfants en difficulté doivent repenser leurs offres de survie. "
C'est d'amour, d'attention et de stabilité dont un enfant a besoin pour son bonheur et son équilibre psychique. Il parait donc primordial de repenser les infrastructures d'accueil (DDASS, orphelinat) en ce sens.


RESPONSABILISER ET ENFERMER

" Vous qui représentez la société, j'aurais aimé entendre un mot sur une société qui fabrique si bien les psychopathes ", avait lancé Maître Pons à l'avocate générale. Avant de se tourner à nouveau vers Guy Georges :
" Et après avoir fait de vous un psychopathe, on vous dénie le statut de malade "

Rhétorique psychiatrique

La psychiatrie actuelle ne reconnaît la maladie mentale, la véritable " folie ", qu'aux seuls psychotiques. Et selon les psychiatres, Guy Georges ne souffre d'aucune psychose.
Plus précisément, la personnalité de Guy Georges mêlerait perversion narcissique, responsable de son " désir de chasse " récurrent et psychopathie, responsable de sa " pulsion de mort " irrépressible. Selon les psychiatres, c'est ce mélange de ces deux troubles de la personnalité qui fonde sa pathologie meurtrière et l'empêche de sombrer dans la psychose. Ce serait donc justement ses meurtres en série qui permettraient à Guy Georges de ne pas devenir véritablement fou…

Décrit à la fois comme " psychopathe " et " pervers narcissique ", Guy Georges souffre donc selon la nomenclature officielle de " troubles pathologiques sévères de la personnalité ", pas de " maladie mentale ". Pourtant le terme même de pathologie est indéniablement synonyme de maladie...
Serge Bornstein (4), spécialiste en neuropsychiatrie, explicite cette distinction rhétorique :
" Ce qui a évolué, c'est la façon d'appréhender la psychiatrie. L'arrivée des manuels américains a conduit à une mise en informatique de la psychiatrie au détriment d'une certaine finesse de l'approche. "
Cette simplification aboutit notamment à classer dans la rubrique psychopathe tous les individus qui n'entrent dans aucune autre catégorie.
Mais le fait que la psychiatrie n'aie pas classé maladie mentale tous les troubles psychiques qui ne sont pas psychotiques ne prouve cependant pas que des criminels comme Guy Georges ne sont pas malades, ils ne sont juste pas reconnus, classés, malades.

Des expertises orientées

En droit pénal, l'irresponsabilité est attribuée à un individu selon que la conscience et/ou la maîtrise de ses actes a été abolie ou altérée. Les troubles dont souffrent Guy Georges n'altèrent pas son discernement : il fut donc reconnu comme pénalement responsable de ses actes. Pourtant ces troubles sont générateurs de sa pathologie meurtrière, et surtout cette possibilité de contrôler ses actes reste discutable.
En effet on a considéré qu'il contrôlait ses actes puisqu'il était capable de les différer quand la situation ne lui permettait pas de les assouvir. Mais Guy Georges se montre alors seulement capable de différer son désir narcissique de chasse, aucunement de l'annihiler. En outre, il n'a jamais été interrompu pendant la " pulsion meurtrière " finale. Pulsion irrésistible qui ne survient qu'à la fin de ses agressions et qu'il n'aurait pu, de l'avis des psychiatres, différer.
Même si ce cas de figure ne relève pas de la définition médico-légale de l'irresponsabilité, Michel Dubec (5), l'un des trois experts psychiatres de Guy Georges, reconnaît que pour les psychopathes : " l'expert traite plus de l'imputabilité que de la responsabilité ". Il cite Michel Foucault critiquant la mission confiée aux experts par la justice: " Ce ne sont pas des questions en terme de " responsabilité ". Elles ne concernent que l'administration de la peine, sa nécessité, son utilité, son efficace possible ; elles permettent d'indiquer, dans un vocabulaire à peine codé, si l'asile vaut mieux que la prison, s'il faut prévoir un enfermement bref ou long, un traitement médical ou des mesures de sûreté. Le rôle du psychiatre en matière pénale ? Non pas expert en responsabilité mais conseiller en punition. "
" Dans ces cas là se pose incontestablement un problème déontologique : l'expert est-il encore en position de médecin ? Est-il seulement garant de la société et non plus assistant de l'individu ? Et s'agit-il toujours de justice ? " conclut le docteur Dubec.

Asile pour les fous, prison pour les psychopathes

Depuis deux décennies, la tendance est à la responsabilisation des individus même lorsque cette décision n'est pas adaptée. Les chiffres sont éloquents : 15% des accusés étaient jugés irresponsables de leurs actes il y a vingt ans contre 0,17% à l'heure actuelle. Les conséquences sont avérées puisqu'on assiste parallèlement à une augmentation croissante du taux de suicide de ces personnes au psychisme fragile. Cette tendance à la responsabilisation aboutit à des situations absurdes même en terme de diagnostics puisque Guy Georges est jugé " pas normal " mais " pas malade ", paradoxe qui sera soulevé par l'accusé lui-même lors de l'audience des experts psychiatres.

En France, le nombre de malades mentaux en prison s'accroît donc chaque année. On estime que 20% des détenus ont une pathologie mentale, grave dans la moitié des cas. Le taux des psychotiques en détention est évalué à 5% de la population carcérale, soit une proportion 3 fois supérieure à celle de la population moyenne. Et si l'on raisonne en terme de troubles de la personnalité, ce chiffre dépasse 50% des personnes incarcérées…
Selon Benoît Dauver (6), psychiatre en SMPR (soin psychiatrique en milieu pénitentiaire) : " Il s'agit là d'une régression du soin, d'une régression éthique, et d'une régression en termes d'humanité. " Il insiste sur la nécessité de sortir du système binaire asile pour les fous / prison pour les psychopathes : " Si les dispositifs de soins psychiatriques au sein des établissements pénitentiaires sont indispensables, ils ne peuvent néanmoins servir à cautionner une fonction asilaire de la prison qui n'est et ne sera jamais un lieu de soins. "
Ainsi des institutions répondant à la fois au rôle de protection de la société et au devoir de respect et de soin des individus font réellement défaut et restent à créer.

En 13 ans d'incarcération, Guy Georges n'a jamais suivi aucune psychothérapie. Reconnus systématiquement responsables, certains criminels ne font ainsi l'objet d'une étude que lors de l'expertise demandée par la justice. Ils échappent ainsi à toute observation, alors qu'il y a une carence de savoir clinique sur leurs cas. Carence qui empêche toute mise au point de nouvelle psychothérapie adaptée. Criminels, il relève du droit pénal. Malade il relèverait de la pathologie, donc des soins et de la recherche.
Ce n'est donc pas un simple problème de définition médico-légale mais bien une question de choix de société. " La manière de traiter les prisonniers est un indice de valeur d'une civilisation. Elle doit préoccuper tout citoyen. " rappelle le docteur Dauver.

Mais la France reste scientiste, d'un scientisme fermé, réactionnaire, qui bannit de plus en plus toute recherche fondamentale. Au pays des Lumières, seules les sciences dites dures continuent d'être écoutées béatement, quand des sciences étudiant le fonctionnement humain, comme la psychologie et la psychiatrie, restent limitées à l'expertise, quand elles ne sont pas complètement négligées, comme l'éthologie. Il est pourtant plus que temps d'appliquer certains progrès de ces sciences à la prévention contre le crime, et non plus seulement à la répression.


Guy Georges était notre ami. Guy Georges est notre ami.

Evidemment notre envie de compréhension n'est pas étrangère à cette amitié. Mais notre combat est le même que celui des familles de victimes : empêcher qu'à l'avenir de tels meurtres aient lieu.
Tenter de comprendre n'équivaut pas à minimiser ou à excuser les crimes commis par Guy Georges, ni les souffrances atroces qu'ils ont engendrées. Cette démarche permettrait au contraire de cerner et à terme prévenir les mécanismes à l'œuvre dans l'émergence de tels phénomènes. C'est la raison pour laquelle nous trouvons primordial que s'ouvre un véritable débat de société afin que prenne forme une réelle prévention.


Edwige Ducreux et Bruno Thomé

1 : Boris Cyrulnik,in Elle.

2 : Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, 1999 et Les vilains petits canards, 2000, édition Odile Jacob.

3 : Boris Cyrulnik, in L'Express, 03 janvier 2001.

4 : Serge Bornstein, La folie en prison in Rebonds, Libération, 7-8 avril 2001.

5 : Michel Dubec et Claude Cherki-Nicklès, Crimes et sentiments, 1992, éditions du Seuil.

6 : Benoît Dauver dans l'émission de télévision Psyché, Les écrans du savoir, 10 avril 2001, La Cinquième.

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