Une
«Convention sur la diversité biologique» signée
fin février à Montréal, un arrêt de la CJCE sur l'autorisation
de dissémination d'OGM de la fin mars reconnaissant, une possible
suspension des autorisations, si de nouvelles connaissances scientifiques
tendaient à accréditer l'hypothèse d'un risque sanitaire.
L'Union Européenne, tirant
les enseignements de la crise de la vache folle, instaure une nouvelle
traçabilité des aliments et redéfinit substantiellement
«l'arbitrage réel» ou «supposé»
entre libre échange et sécurité du consommateur.
Le rapport à l'aliment a surgit subitement à la faveur d'une
réelle médiatisation des crises, d'une vulgarisation des
données scientifiques, c'est un rapport inquiet rythmé par
des révélations, des découvertes et des controverses.
La qualité de l'aliment cristallise
des peurs, qui à un moment de perte des repères collectifs,
permet de désigner «une», «la» science
comme un ennemi. Cette désignation a atteint son paroxysme au lendemain
de Seattle, on a dénoncé pèle- mêle «les savants
fous», les firmes prédatrices et on proclame le «droit
des peuples à se nourrir eux mêmes».
La bataille de la qualité au nord semblait occulter la peur, la
hantise du manque au sud. Et voilà que surgit une Ethiopie affamée
avec ses cohortes de personnes errants à la recherche d'une humble
subsistance. Deux images qui finissent par se retrouver, se côtoyer,
achevant de reconstituer l'histoire de l'aliment : la quête de la quantité
a poussé vers l'intensification, mais des errements qui font surgir
la peur du manque.
L'aliment est aux confluents des dimensions symboliques, culturelles,
géopolitique et depuis peu, objet d'une recherche scientifique
dont les buts ultimes restent politiques. Dans les relations entre les
peuples, entre les Etats et les groupements, l'aliment renvoie aux conflits
enfouis dans les mémoires collectives et participe peu ou prou
à la construction de l'image des guerres de prédation. Plus
prés de nous, l'aliment est devenu l'enjeu de rivalités
entre Etats par entreprises interposées. La quête d'une capacité
de domination des mécanismes du vivant et d'une capacité
d'appropriation de la combinatoire génétique des plantes
les plus stratégiques ou celles disposant de propriétés
médicinales constitue la trame de fond d'une rivalité et
d'une querelle autour de la brevetabilité et de la réification
du patrimoine végétal. Parallèlement, la récurrence
des grandes crises sanitaires liées à la contamination de
la chaîne alimentaire et aux manifestations de défiance vis à
vis des biotechnologies a contribué à l'émergence
d'une demande d'encadrement.
Si en temps de paix la régulation des flux de produits alimentaires
n'incombait que très partiellement aux Etats, l'intervention sur
le cadre et la qualité de l'offre constituait l'essentiel de leur
intervention en matière alimentaire. Il s'agissait essentiellement
de la lutte contre la fraude, la qualité a constitué donc
les prémices «d'un droit de l'alimentation» et les
débuts d'une politique publique de sécurité alimentaire
et ce dans la plupart des pays industrialisés.
La multiplication des crises sanitaires liées à l'alimentation
(causées par l'imprévoyance ou la fraude) va contribuer
à singulariser le risque alimentaire dans ses manifestations et
dans les moyens qui doivent être mis en œuvre soit pour l'empêcher soit
pour en réparer les conséquences. L'Etat, ne pouvait prendre
en charge ce risque en usant des mêmes technologies de pouvoir. C'est
ainsi que l'éloignement, le confinement ou la quarantaine vont
paraître inefficaces face à un aléa complexe et mouvant.
Ce n'est que très récemment qu'on prit conscience que la
construction d'un "espace politique de la santé "autour de la définition,
de l'inventaire, du repérage et de l'éradication des maladies
par «l'incorporation de l'inégalité», «le
pouvoir de guérir» et «le gouvernement de la vie»
ne pouvait coïncider à la fois avec l'espace politique d'encadrement
des risques sanitaires et des risques alimentaires. Ces deux dernières
catégories et notamment les risques alimentaires, participent essentiellement
de ce qu'on pourrait appeler les risques de développement ou émergeants
alors que les dispositifs de santé publique ont été
crées pour faire face à des risques en routine.
Tiraillés entre l'obligation
de sécurité de la santé de leurs populations et l'obligation
de garantir la fluidité des échanges, les Etats vont mettre
en œuvre des politiques de sécurité alimentaires fondées
d'une part sur la création d'institutions de contrôle et
/ ou de réglementation, par la création ou la «juridification»
de standards, de normes de qualité et de traçabilité d'autre
part ou enfin, par un retour à l'embargo et l'isolement des foyers
de risques. Si la création d'institutions de contrôle et
de réglementation ainsi que la technique de l'isolement constituent
des outils «classiques» de politiques publiques, il en va
autrement pour l'intégration des standards et des normes techniques
dans les droits nationaux d'encadrement des risques. En effet, dans le
cadre de frontières nationales étanches, cette «juridification»
ne pose pas de nouvelles questions, en revanche dans un contexte de porosité
des frontières et de libre circulation, la norme technique devient
un outil ambivalent.
De moyen de défense, ces normes peuvent se muer en un moyen de
contrôle des marchés. Ils peuvent devenir un moyen de dépossession
des Etats de l'outil de contrôle sanitaire des aliments.
Loin de constituer un rempart ou un moyen de conquête des marchés
parrainé par les Etats, les normes ou les standards sont de plus
en plus imposés par les acteurs non étatiques dominants
(Grands groupes, firmes industrielles, firmes internationales de certification
et d'expertise…). Intégrés aux champs normatifs nationaux
par différents canaux et moyens, ils transmutent en règles
de droit. Ils deviennent de fait un des biais par lequel la dimension
globale fait irruption dans la fabrique des politiques publiques nationales.
C'est sur la pierre de l'éthique
sécuritaire que la santé devra bâtir son église.
Taoufik
Bourgou
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